En écho direct avec les enjeux du musée du XXIème siècle [1] et les préconisations de bonnes pratiques collaboratives, les comités de visiteurs se développent de plus en plus dans les musées. Leurs apports sont de mieux en mieux connus et communiqués, et la démarche mérite que l’on se questionne à chaque nouvelle expérience pour mieux en comprendre les enjeux, les possibilités et les résultats.
Comment les lieux culturels peuvent-ils se saisir au mieux de ce dispositif pour permettre aux publics de prendre part d’une façon ou d’une autre aux choix et aux évolutions portés par le musée ? Les comités de visiteurs peuvent-ils constituer une réponse au besoin d’inclusion, aux aspirations sociales et citoyennes, aux questionnements liés à la transition écologique ou aux droits culturels ?
C’est quoi un comité de visiteurs ?
Le comité de visiteurs est une démarche collaborative qui organise des moments d’échange réitérés avec un groupe de visiteuses et de visiteurs, sur un temps long, de quelques mois à une ou plusieurs années. Dans le cas de la dénomination « comité d’usagers », le terme « usager » revêt une acception plus large que celui de « visiteur », considérant qu’un public de musée est également usager d’un lieu, de services, qui constituent tout autant matière à expérience que les contenus muséographiques ou leurs dispositifs de médiation.
Chaque participant au comité constitué « membre » acquiert un statut qui dépasse celui d’une simple visiteuse témoignant d’une expérience de visite au musée à un temps t, comme c’est le cas dans le cadre d’études. Il devient un véritable interlocuteur du musée, et est invité à participer à des tests, des tables rondes, des recherches plusieurs fois dans l’année autour de différentes thématiques prédéfinies, ou dans le cadre d’un projet conduit sur la durée et pensé en plusieurs étapes.
Les thématiques d’échange peuvent être de très larges à circonscrites : l’expérience de visite, les contenus culturels ou muséographiques, la médiation, les services… autour desquelles les membres sont invités à témoigner, échanger, tester, contribuer ou coconstruire. La modération des sessions d’échange emprunte aux méthodes qualitatives (comme les focus groupes), aux méthodes de l’intelligence collective, voire aux approches en design thinking. Les approches ouvrent à des modalités relationnelles et à des contributions plus ouvertes, plus souples, plus créatives que les études, instaurant des espaces conversationnels autour des projets muséaux.
Designs de comités : réfléchir ad hoc et sur le temps long
Il est autant de lieux et de projets ou problématiques que de designs de comités possibles à explorer et chaque comité est un laboratoire d’expérience. Un enjeu central est de réfléchir ad hoc, et pour chaque contexte, à la meilleure façon de constituer un (ou des) comité(s) et d’en penser les modalités collaboratives, l’animation et les finalités concrètes. La qualité du recrutement, le nombre de participants, leur fidélisation, le nombre de sessions de rencontre, les choix en matière d’animation et d’ateliers de travail, l’analyse des contributions, l’exploitation des contenus des échanges… vont construire la valeur finale du travail produit pour le musée, et la qualité du lien construit avec les membres.
Un autre enjeu est de ne pas penser cette approche comme une « simple » mise en place de focus groupes – c’est bien la temporalité longue du comité, la proximité développée sur la durée entre ses membres, qui en font la spécificité et la richesse. Une relation se tisse entre et avec les différents actrices et acteurs, qui favorise la réflexion longue et permet de tenir de fil d’une discussion qui s’enrichit un peu plus à chaque rencontre – nourrie des échanges passés et des réflexions déjà menées – à l’inverse d’une démarche étude inscrite dans le temps. La visiteuse (ou le groupe ?) y devient acteur (et non objet d’étude). La notion de durée et la réalité du groupe sont donc deux éléments à réfléchir pour faire avancer et évoluer les échanges en s’adossant à la réalité sociale, relationnelle et sensible de « l’équipe » constituée.
Des comités d’usagers autour de l’expérience de visite
La Cité des sciences et de l’industrie, et plus particulièrement l’équipe dédiée à la qualité de l’expérience de visite a souhaité, au travers de la création de son premier comité d’usagers en 2024, explorer avec les publics la qualité de cette expérience de visite in situ – le site étant monumental et proposant des activités, des contenus et des fonctionnalités multiples pas toujours identifiés et compris des visiteurs. Le comité a vocation à être un comité d’écoute et les membres y sont invités à témoigner de leur parcours de visite comme à proposer des idées de nouveaux dispositifs ou de nouveaux services en vue d’améliorer l’expérience à la Cité.
Des parcours en déambulation ont notamment été menés en petits groupes, aussi bien dans les espaces muséographiques que dans les extérieurs et alentours de la Cité, afin que les membres fassent part de leurs perceptions et suggestions in situ. Une des rencontres a eu pour thème le développement durable au musée, et des idées ont pu voir le jour autour de notions partagées comme les communs ou la mémoire environnementale. Ce comité, qui se poursuit sur la saison 2025-26, a été doublé d’un second comité dédié aux scolaires.
Accompagner le changement
Des comités peuvent se constituer dans le cadre d’une réhabilitation de lieu, de l’évolution d’un projet d’établissement ou d’une réflexion sur le positionnement et l’identité d’une institution. Après dix-huit mois de travaux et dans un contexte de rénovation et d’extension de son site, le MAMC+ de Saint-Etienne Métropole, dont le projet scientifique et culturel place le développement durable au centre de ses préoccupations et qui a l’ambition de se positionner parmi les musées « durables », a souhaité inclure un groupe de visiteurs à sa réflexion et constitue un premier comité engagé sur trois années. Les contributions de ce groupe ont vocation à travailler sur le parcours de visite et à influencer les choix d’avenir du musée.
De même, le Musée national de la Marine, dont le site de Rochefort va bénéficier d’une rénovation à partir de 2026, souhaite pérenniser sa stratégie de co-construction initiée par son site parisien, et monter un comité de réflexion et d’idéation à Rochefort autour de la future offre culturelle du musée. Pour Véronique Paintrand, Cheffe du département Marketing et Publics, la démarche vise également à « initier le dialogue » avec les publics et non publics et s’inscrit dans une démarche d’« innovation collective » et une « intention d’élargissement. »
Des approches itératives
Certaines institutions montent des comités de visiteurs sur des formats itératifs, en vue de tester et optimiser des dispositifs de médiation. C’est par exemple le cas de la Cité de l’architecture et du patrimoine, qui travaille à des nouveaux outils numériques et immersifs et qui a souhaité inclure les visiteurs à ses process d’élaboration, en amont même de la création de maquettes. L’objectif est de mettre au point des dispositifs pensés pour l’utilisatrice (user centric). Différentes étapes de test sont menées à partir de scripts et scénarios de préfiguration, de visualisations 3D, d’enregistrements, de captures d’écran animées… qui permettent d’affiner les projets d’une session à l’autre. Dans certains cas, des comités distincts peuvent se constituer à chaque étape du process, au lieu d’un groupe pérenne plus difficile à fidéliser sur des approches resserrées et exigeantes.
Coconstruire en amont de la création d’un musée
Un autre exemple est la constitution de comités de réflexion et d’expérimentation dans le cadre d’une mission de préfiguration d’un musée futur. L’équipe du Musée-Mémorial du terrorisme, qui doit voir le jour entre 2028 et 2030, souhaite associer les futurs publics à la conception de son exposition permanente, en travaillant avec elles et eux autour des parcours, des contenus et des médiations, avec en filigrane la question de la réception de ces contenus, dont la charge émotionnelle doit être évaluée, prise en compte et accompagnée d’une médiation ajustée. Le futur musée a par ailleurs très tôt engagé des démarches collaboratives, puisqu’il a dès 2020 monté une exposition pédagogique (« Faire face au terrorisme ») conçu en phygital (numérique et physique), réalisée avec les élèves et les enseignants de huit établissements scolaires d’Île-de-France.
Un programme de recherche collaborative autour de matériaux muséographiques
Enfin, les échanges peuvent nourrir une recherche collaborative autour d’un montage d’exposition ou pour un projet nécessitant une collecte de matériaux muséographiques. Florence Raymond, conservatrice et en charge de la médiation au Musée de l’Hospice Comtesse, musée d’art et d’histoire de Lille, nous a raconté à Museum Connections [2] comment elle a pu mettre en place avec son équipe un comité de visiteurs dédié à un « projet d’avenir » autour de l’histoire de l’Hospice Comtesse – qui abritait à l’origine un hôpital puis un hospice pour hommes âgés et orphelins. Dans le cadre de ce projet, les membres du comité collectent des archives et des témoignages de personnes ayant eu un lien direct ou indirect avec l’hospice, avant sa transformation en musée, ou avec son quartier. La finalité de ces travaux est de documenter l’histoire du lieu en nourrissant la réflexion du musée, de valoriser ces témoignages sous la forme d’une présentation originale, voire d’enrichir la collection permanente d’un nouvel espace muséographique dédié. Le groupe de travail est composé d’agents du musée et d’ambassadeurs intergénérationnels, publics comme non publics du musée. Cet exemple montre comment un musée peut proposer une approche innovante, pensée à partir du lieu, et comment un lien se tisse alors entre une institution et son voisinage immédiat, dans un « bel esprit de conquête, d’adresse à l’autre ». Enfin, il montre que les « petites » histoires des habitantes et habitants peuvent nourrir et rejoindre la grande histoire d’un musée.
Comités de visiteurs et ouverture sur le territoire
Un comité de visiteurs peut ainsi constituer une première étape de création de projet culturel en territoire. L’approche peut contribuer à ouvrir les perspectives pour penser l’avenir des musées et leur ouverture – par le dialogue, l’écoute et la co-construction – à la vie locale et citoyenne qui les entourent et aux enjeux culturels, sociaux et environnementaux.
Ariane Lacas
© L’Oeil du Public
Photo : Sessions d’échange du comité d’usagers Universcience à la Cité des sciences et de l’industrie (2024-25), © L’Oeil du Public
[1] Rapport de la mission musées XXIe siècle, initiée par le Ministère de la Culture en 2017, Inventer des musées pour demain, sous la direction de Jacqueline Eidelman. ↩︎
[2] Conférence Museum Connections (2025), Comités d’usagers : quelles bonnes pratiques pour un usage efficace ? ↩︎