Il y a quelques mois, le Musée d’Histoire Naturelle de Fribourg (MHNF) a fait appel à L’Oeil du Public (Suisse), avec l’objectif d’avoir une compréhension plus fine des raisons de visite du musée (et de non-visite), et plus largement de ses publics (et de ses non-publics). Et pour aborder cette question de fond, le MHNF a opté pour une méthode de segmentation encore peu usitée en Europe, et pourtant très éclairante : La segmentation IPOP pour les musées. « IPOP » ? On vous explique.
La segmentation IPOP ne se base pas sur des critères socio-démographiques, mais s’ancre dans les motivations profondes des visiteurs.trices de musée. Elle a été développée par Andrew Pekarik, ancien Audience Research Analyst à la Smithsonian Institution, Jim Schreiber (Duquesne University) et leurs équipes, sur la base de 24 ans de recherche à la Smithsonian Institution (Washington DC), plus gros pôle de musées et de recherche au monde.
Aux origines, les musées de la Smithsonian Institution (Washington DC)
La théorie IPOP est née des multiples observations de terrain et des interviews qualitatifs des visiteurs des musées réalisés par Andrew Pekarik et ses équipes pendant de nombreuses années.
Un outil de mesure a ensuite été construit par Jim Schreiber, qui a pu vérifier la validité scientifique du modèle et documenter toute la démarche de recherche, permettant ainsi la réplicabilité du modèle. Jusqu’à aujourd’hui, la segmentation a pu être appliquée à 23’000 visiteur.euse.s, 1’500 membres du personnel des musées, plus de 15 musées aux Etats-Unis et au Canada. Et maintenant au Musée d’Histoire Naturelle de Fribourg.
Le MHNF déménage et repense sa création de valeur
Le MHNF se trouve à l’aube d’un déménagement dans un nouveau lieu, un magnifique bâtiment historique entièrement rénové, qui offrira des espaces à la hauteur de l’attachement de la population du canton de Fribourg pour ce musée.
Ce déménagement est pour Peter Wandeler, Directeur du MHNF, et ses équipes l’occasion de repenser la muséographie de l’exposition permanente du MHNF : comment faire pour entrer davantage en résonance avec ses différents types de publics ? Comment faire pour rendre la visite au MHNF mémorable ? L’idée sous-jacente est de réfléchir à la création de valeur : un musée – ou tout autre lieu culturel – peut chercher à attirer de nouveaux visiteurs (croissance extensive) ou à augmenter la fréquence de visite des visiteurs existants (croissance intensive). Mais on peut aussi chercher à augmenter la valeur que les visiteurs actuels retirent de leurs visites. Une croissance en profondeur, en quelque sorte. Certains parlent d’augmenter le brain print du lieu culturel.
C’est ce que le MHNF cherche à faire : comment augmenter l’impact que les pièces exposées, les sujets abordés auront sur les visiteurs ? C’est là où la segmentation IPOP pour les musées peut aider.
IPOP, ou Ideas, People, Objects, Physical
En effet, le modèle offre aux musées de nouvelles perspectives pour comprendre leurs visiteurs et interagir avec eux. Andrew Pekarik et ses équipes, au fil de leurs interviews qualitatifs, ont réalisé qu’il était possible d’identifier et de différencier la façon dont les visiteurs vivent leur expérience au musée. Ils ont pu identifier quatre grandes tendances, qu’ils ont appelés préférences ( ou « experience preference ») : Ideas, People, Objects et Physical.
Les visiteurs avec une préférence Ideas (ou Idées) rechercheront une stimulation cognitive et une compréhension approfondie des sujets abordés. Ils sont captivés, par exemple, par les concepts, les informations factuelles, les statistiques, les chronologies et les contextes historiques. Pour eux, les musées sont des lieux d’apprentissage dont les expositions doivent offrir un contenu intellectuel riche.
Les visiteurs avec une préférence People (ou Personnes) vont davantage rechercher la dimension humaine associée ou associable à l’œuvre exposée / à l’expérience muséale. Ils seront attirés par les émotions, les histoires, les biographies, les anecdotes, et les performances ou démonstrations en direct, les échanges interpersonnels. Ils apprécieront les expositions qui mettent en avant des aspects personnels et humains, à travers des récits captivants et des expériences immersives.
Les personnes avec une préférence Objects préféreront l’esthétique, l’observation des objets et de leur fonctionnement, leur fabrication, leur assemblage, leur comparaison les uns avec les autres. Elles sont attirées par la beauté visuelle, la technique de fabrication, et les histoires derrière les objets. Pour ces visiteurs, les musées sont des trésors de curiosités où chaque pièce a une histoire unique à raconter.
Enfin, celles avec une préférence Physical (ou Physique, ou « Physicalité ») seront davantage attirées par la perception somatique: les mouvements, les actions, les sons, les odeurs, la lumière, l’interactivité. Ces visiteurs apprécient les expositions qui permettent une interaction directe et stimulent les sens de manière variée et engageante.
IPOP au MHNF : comment rentrer davantage en connexion avec les visiteurs
L’Oeil du Public a donc réalisé, avec les conseils précieux d’Andrew Pekarik et de Jim Schreiber, une étude approfondie des publics et des non-publics du MHNF en utilisant la segmentation IPOP. L’objectif recherché était de comprendre comment chaque type de visiteurs (I, P, O, P) interagissait avec les différentes sections du musée et d’identifier ainsi les aspects à améliorer pour entrer davantage en résonance avec chaque type de public – donc de créer davantage de valeur à partir du contenu du musée pour chaque catégorie de visiteur.
L’étude a permis d’établir que certaines salles étaient nettement plus appréciées par certains types que par d’autres. Autrement dit, on a pu mettre au jour un déficit d’attractivité de certaines salles auprès de certains types de public, et les directions dans lesquelles on devrait travailler pour susciter davantage l’intérêt de la part de ces publics.
La méthode IPOP démontre que la compréhension des préférences individuelles peut transformer l’approche muséale. Elle offre une nouvelle perspective sur la conception des expositions et met en lumière l’importance de la diversité des expériences pour attirer et satisfaire un public divers, lui aussi.